Le lieu de travail peut constituer, tout comme le salaire et la qualification professionnelle, un des éléments essentiels du contrat de travail que l’employeur n’est pas autorisé à modifier unilatéralement.
La règle générale
La Cour de cassation a édicté une règle de jurisprudence claire et précise qui permet de mesurer si un changement de lieu de travail constitue une modification d’un élément essentiel du contrat de travail ou un simple changement dans les conditions de travail (Cass. soc., 4 mai 1999).
Cette règle prend en compte un seul critère, objectif, qui est le secteur géographique :
- Si un salarié est déplacé dans le même secteur géographique, cette mutation constitue un changement dans ses conditions de travail qu’il est tenu d’accepter. Son refus peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, éventuellement pour faute grave.
- À l’inverse, si le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique différent de celui où le salarié travaillait précédemment, il s’agit d’une modification d’un élément essentiel du contrat de travail qui ne peut lui être imposée.
La notion de « secteur géographique » est appréciée au cas par cas par les juges du fond, en tenant compte du découpage administratif, mais aussi des réseaux de transports à la disposition du salarié : infrastructure routière, transports en commun (Cass. soc., 15 juin 2004).
La Cour de cassation a par ailleurs précisé que la modification du lieu de travail ne pouvait en aucun cas se traduire par l’obligation de travailler à domicile (Cass. soc., 2 octobre 2001). Le télétravail est possible mais il ne peut être mis en place qu’avec l’accord du salarié.
Les exceptions
Le changement de lieu de travail, y compris dans un secteur géographique différent, peut être imposé aux salariés dans certains cas. Il en est ainsi :
- Lorsque le contrat de travail prévoit une clause de mobilité géographique. Dans ce cas, la signature d’une telle clause engage le salarié qui est obligé d’accepter la mutation qu’on lui impose. Les clauses de mobilité ne doivent pas pour autant être abusives. Les juges ont ainsi considéré comme illicite une clause de mobilité demandant au salarié de déménager dans sa nouvelle région d’activité dans les 6 mois de sa mutation. Le salarié en question étant attaché commercial, l’employeur n’avait pas le droit de lui imposer un tel déménagement (Cass. soc., 12 janvier 1999). Bien entendu, il en aurait été autrement si le salarié avait été tenu, par ses fonctions, à une présence permanente sur son lieu de travail (gardien, par exemple). Jugée abusive également : la mutation d’une agent de propreté sur un nouveau lieu de travail où elle était dans l’impossibilité de se rendre à l’heure prévue (5 h 15 du matin) du fait de l’absence de transports en commun, même si le contrat de travail de cette salariée, en raison de ses fonctions, comportait bien une clause de mobilité (Cass. soc., 10 janvier 2001) ; clause de mobilité accompagnée d’un passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit ou encore matérialisée par des déplacements multiples sur toute la France et à l’étranger portant atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale (Cass. soc., 14 octobre 2008). La Cour de cassation a considéré également illicites les clauses de mobilités obligeant les salariés à accepter une mutation dans une autre société, quand bien même celle-ci appartiendrait au même groupe ou à la même unité économique et sociale que l’entreprise où ils ont été engagés (Cass. soc., 23 septembre 2009). Par ailleurs, la Cour de cassation considère que, pour être licite, la clause de mobilité doit préciser les zones géographiques au sein desquelles le salarié peut être muté. L’employeur ne peut ensuite étendre unilatéralement la portée de la clause, même si cette possibilité était prévue au départ (Cass. soc., 7 juin 2006).
- Lorsque la convention collective prévoit une obligation de mobilité pour l’emploi concerné (Cass. soc., 27 juin 2002).
- Lorsque le poste de travail implique, par nature, une certaine disponibilité géographique. Ce peut être le cas pour des emplois excluant toute localisation (contrat de travail international, par exemple). Il en a également été décidé ainsi pour un emploi de chauffeur (Cass. soc., 4 janvier 2000).
- Lorsqu’il s’agit d’une mutation temporaire, justifiée à la fois par l’intérêt de l’entreprise et des circonstances exceptionnelles. La jurisprudence exige également, dans ce cas, que le salarié soit informé au préalable et dans un délai raisonnable du caractère temporaire de l’affectation et de sa durée prévisible (Cass. soc., 3 février 2010).
Notons également qu’une mutation dans un même secteur géographique peut être considérée comme une modification d’un élément essentiel du contrat de travail que le salarié peut refuser lorsque le contrat écrit précise explicitement que le lieu de travail mentionné constitue son lieu de travail exclusif (Cass. soc., 2 juin 2003). Il en est de même si le changement de lieu de travail porte atteinte aux droits à la santé, au repos ou à la vie personnelle et familiale de l’intéressé (Cass. soc., 16 novembre 2016).
En outre, les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique des salariés au sein de l’entreprise peuvent faire l’objet d’un accord collectif négocié, selon les conditions prévues à l’article L. 2254-2 du Code du travail. Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord, mais ce refus constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.
l’accord de mobilité interne qui avait été institué par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a été supprimé par l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.
Cas particulier
L’article L. 1132-3-2 du Code du travail précise que les salariés homosexuels peuvent refuser une mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité. Ce refus ne peut faire l’objet d’aucune sanction.
Bon à savoir
Dans tous les cas, il faut préciser que les juges ont toujours le pouvoir de vérifier, en se basant sur les éléments fournis par le salarié, que la mutation ne cache pas en fait une sanction déguisée, comme ce fut le cas pour une commerciale mutée dans un secteur de faible importance et qui ne laissait présager, de surcroît, aucune évolution ni à moyen ni à long terme. La Cour a conclu que cette mutation détruisait l’avenir professionnel de la salariée et pouvait donc s’analyser comme une sanction à son égard (Cass. soc., 9 mai 1990).