Vous êtes employé(e) dans une entreprise. Vous êtes à l’origine d’une création ou invention que votre employeur souhaite exploiter ; et vous vous posez beaucoup de questions : peut-il le faire librement ? Quels droits détenez-vous ? La propriété intellectuelle de votre invention peut-elle vous être attribuée ?
Ces interrogations sont légitimes. En effet, nombreux sont les litiges que suscitent les questions de propriété intellectuelle. Et quand on sait que les statistiques indiquent que « 90 % des inventions brevetées sont le fait d’inventeurs salariés », cela se comprend facilement.
Voici à ce sujet quelques éclaircissements.
Pour ce faire, commençons par distinguer deux domaines régis par la loi en matière de propriété intellectuelle : la propriété industrielle et la propriété littéraire et artistique.
La propriété industrielle est celle concernant les marques, les brevets, les dessins et modèles industriels. La propriété littéraire et artistique s’applique quant à elle aux œuvres littéraires, graphiques, musicales...
Selon le domaine concerné par votre invention, les règles applicables peuvent être différentes.
La propriété industrielle
Un régime spécifique est consacré par le Code de propriété intellectuelle pour les inventions des salariés. Selon les conditions dans lesquelles ces inventions ont été conçues, leurs droits peuvent revenir soit aux employeurs, soit aux salariés.
La loi distingue ici deux catégories d’inventions : les inventions de mission, les inventions hors mission.
Les inventions de mission
Les inventions de mission sont celles qui ont été confiées au salarié par son employeur dans le cadre d’une « mission inventive ». Le Code de propriété intellectuelle dispose que ces inventions appartiennent à l’employeur et à lui seul.
Mais pour que ce principe — rappelé clairement par la chambre sociale le 21 septembre 2011 dans un attendu de principe (no 09-69.927) — soit vraiment appliqué, l’employeur doit mentionner expressément dans le contrat de travail du salarié la mission inventive. Si tel est le cas, le salarié ne peut plus prétendre à une quelconque propriété intellectuelle sur son invention.
Toutefois, cela ne veut pas dire que le salarié inventeur ne bénéficie de rien dans le cadre de son invention. Une contrepartie financière appelée « rémunération supplémentaire » doit lui être versée par l’employeur. Le montant et les conditions de versement de cette rémunération sont définis par conventions collectives, accords d’entreprise ou contrats de travail individuels.
Le salarié, pour bénéficier de la rémunération, doit veiller à faire, immédiatement après son invention, une déclaration à l’employeur.
Les inventions hors mission
Les inventions hors mission sont celles qui ne sont pas nées dans le cadre d’une mission inventive. En principe, ces inventions reviennent d’office à son inventeur, donc au salarié.
Mais dans certains cas, l’employeur a le pouvoir d’exercer son « droit d’attribution » afin de s’en rendre propriétaire. En effet, l’alinéa 2 de l’article L. 611-7 du Code de propriété intellectuelle dispose que « lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle, l’employeur a le droit, dans des conditions et délais fixés par décret en Conseil d’État, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié. »
Conformément aux dispositions de l’article R.611-7 du Code de la propriété intellectuelle, l’employeur dispose de 4 mois à compter de la date de réception de la déclaration d’invention du salarié pour exercer son droit d’attribution.
Dans ce cas, il devra convenir avec le salarié inventeur d’un « juste prix » qu’il lui versera en contrepartie.
Mais si l’invention du salarié a été réalisée en dehors de toute mission à lui confiée par son employeur ; si elle a été réalisée sans connaissance ou utilisation des moyens ou techniques de l’entreprise alors elle appartient sans réserve au salarié inventeur. L’employeur ne peut avoir aucun droit de regard sur elle. Le salarié inventeur est donc libre d’exploiter son invention comme il le souhaite et d’en tirer les bénéfices.
La propriété littéraire et artistique
Dans le cadre de la propriété littéraire et artistique, la loi se place encore plus du côté du salarié. En effet, l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose à son alinéa 1 que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Ce qui signifie que même si l’invention du salarié est mise en œuvre dans le cadre de son contrat de travail, pendant qu’il percevait un salaire de la part de son employeur, celui ne peut prétendre d’aucun droit sur elle. À moins que le salarié lui-même ait accepté de lui céder ses droits.
Mais dans ce cas, un contrat de cession doit être établi pour servir de preuve ; étant donné qu’il est formellement interdit par la loi de mettre en place à l’embauche d’un salarié un accord de cession globale de ses œuvres futures.
Mais notons également ici qu’il existe une exception quant au principe d’exclusivité du salarié en matière de propriété littéraire. Elle concerne les logiciels.
En effet, aux termes de l’article L.113-9 du Code de propriété intellectuelle, « sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation
créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer ».
Les salariés ne disposent donc pas de droit de propriété incorporelle exclusif dans le cas des logiciels. En revanche, ils conservent leur droit moral.